Chapitre 14

TRAHISON

Roo fronça les sourcils.

Jason, de son côté, continua à énumérer les pertes dues aux énormes emprunts qu’ils avaient été obligés de contracter pour prêter de l’or à la Couronne.

— Dire que le duc vient de m’en demander à nouveau, soupira Roo.

— Je ne vois pas comment on va pouvoir réunir davantage d’or. Pour cela, il nous faudrait vendre quelques-unes de nos entreprises les plus profitables, ce qui ne ferait qu’ajouter à nos problèmes de liquidités. (Jason secoua la tête.) N’y a-t-il donc personne d’autre susceptible de prêter de l’or au duc ?

Roo éclata de rire.

— Eh bien, je pourrais peut-être persuader Jacob d’Esterbrook de se joindre à moi.

Mais en réalité, il savait qu’il serait vain de lui demander d’aider le royaume. Lors des quelques dîners auxquels il avait été convié chez les d’Esterbrook, Roo avait bien tenté d’aborder le sujet mais Jacob avait toujours pris soin de détourner la conversation sans jamais lui répondre. Cependant, il y avait d’autres marchands à Krondor. Roo décida d’aller les trouver.

— Jason, je vais m’absenter pour le reste de la journée. Tu veux bien envoyer un message à ma femme lui disant que je risque de rester en ville encore quelques jours ? (L’ancien serveur devenu comptable s’empressa de griffonner le billet demandé.) Ensuite, essaye de trouver Duncan et demande-lui de me retrouver ici à cinq heures. J’aimerais bien que Luis soit là également.

— Où allez-vous en attendant ?

Roo sourit.

— Chercher de l’argent pour le duc. J’irai au Barret vers trois heures avant de revenir au bureau. Entre-temps, je vais faire un tour en ville.

Le jeune marchand enfila une cape légère qu’il ne portait que pour suivre la mode, car il faisait chaud ce jour-là. Puis il coiffa son chapeau à large bord orné d’une élégante plume jaune. Une très belle paire de bottes de cavalier complétait ce riche ensemble. Seule sa vieille épée jurait avec le reste, mais il ne s’en séparait jamais.

Il sortit dans les rues encombrées de la capitale et se retourna pour admirer la façade d’Avery & Fils. Il s’arrêtait souvent pour contempler ainsi l’immense entrepôt qui était devenu le cœur de son empire financier. Après avoir acheté les terrains tout autour du bâtiment, le jeune homme avait fait construire des bureaux et agrandir la cour, que remplissaient désormais ses chariots.

Satisfait, Roo fit demi-tour et s’en alla trouver son premier espoir : un banquier qui, sans être un ami, lui devait au moins quelques faveurs.

 

— J’ai besoin de cet or, décréta le duc.

— Je le sais bien, messire, répondit patiemment Roo, mais je n’en ai plus à vous donner.

— Il y a toujours moyen d’en trouver.

Roo vit que James paraissait fatigué. Il avait de grands cernes sous les yeux, comme s’il ne dormait pas beaucoup ces derniers temps. La tension ne cessait de monter en ville et des rumeurs circulaient, prédisant une guerre imminente. La veille, Krondor et ses habitants avaient appris qu’une grande bataille navale avait eu lieu près des passes des Ténèbres le jour de Banapis. Tous les navires censés revenir des Cités libres et de la Côte sauvage se faisaient attendre.

— Si vous augmentez les impôts, vous parviendrez sûrement à en soutirer davantage aux négociants et aux fermiers, convint Roo, mais n’oubliez pas que la communauté marchande est désormais très nerveuse. Depuis des mois, elle ne cesse de faire passer à l’Est l’or dont vous avez besoin.

— Vous avez suivi son exemple, si je ne me trompe pas, et pas qu’un peu ! s’exclama le duc en frappant du poing sur la table.

Roo écarquilla les yeux.

— J’ai agi comme n’importe quel homme dans ma situation l’aurait fait, messire ! protesta-t-il d’une voix véhémente. (L’espace d’un instant, il en oublia presque à qui il s’adressait. Mais il finit par maîtriser sa colère, à peine contenue.) Je vous ai donné jusqu’au dernier sou dont je pouvais raisonnablement me séparer. Si vous continuez à en exiger davantage, vous risquez de tuer la vache à lait !

James dévisagea froidement le petit homme.

— Eh bien, qu’elle meure. J’ai besoin d’armes et de fournitures pour tenir un mois supplémentaire et c’est hier qu’il me les fallait !

Roo soupira.

— Je dois dîner avec Jacob d’Esterbrook ce soir. Je verrai combien je peux lui soutirer.

James l’observa en silence pendant une longue minute avant de répondre :

— Vous allez vous faire arnaquer.

— Comment ça ?

— Il comprendra que vous avez besoin d’or rapidement et il vous demandera en échange quelque chose que, jusqu’ici, vous avez refusé de lui vendre.

Roo réfléchit quelques instants.

— Si le royaume perd cette guerre, mes possessions n’auront plus la moindre valeur. Alors quelle importance si je dois me séparer de l’une d’entre elles tout de suite ? (Il se leva.) Avec votre permission, je vais m’en aller. Il faut que je sois au Barret à trois heures et j’ai encore deux autres visites à faire avant ça. Je dois m’occuper de quelques affaires.

Il s’inclina et fit mine de vouloir sortir, mais James le rappela.

— Rupert ?

— Oui, messire ? demanda le petit homme en se retournant pour regarder le duc.

— Possédez-vous de nombreux intérêts financiers à Landreth et à Shamata ?

— Oui, Votre Grâce, dans ces deux villes.

James pesa soigneusement ses mots :

— Vous feriez bien de les rapatrier au nord de la mer des Songes.

— Pourquoi, messire ?

— Oh, c’est juste une idée comme ça.

Refusant d’en dire davantage, le duc se pencha à nouveau sur les papiers qu’il examinait avant l’arrivée de Roo. Ce dernier s’en alla puisque visiblement on le congédiait.

Dans la pièce voisine, qu’occupait le secrétaire de James, une immense carte du royaume de l’Ouest couvrait tout un pan de mur. Roo s’en approcha et jeta un coup d’œil à la région qui entourait la mer des Songes.

Le val appartenait au royaume depuis près d’une centaine d’années mais constituait depuis longtemps un sujet de discorde entre les Isles et Kesh la Grande. Roo posa son index sur la carte à l’emplacement de Finisterre, sur les bords de la Triste Mer. Au nord-est se situait une petite crique que l’on appelait la baie de Shandon, non loin de la petite ville de Dacadia, seule agglomération importante entre Finisterre et la mer des Songes. Roo suivit du doigt une rangée de collines qui partait de la côte, au sud de Finisterre, pour se terminer à l’est au bord du canal qui reliait la Triste Mer à la mer des Songes. Puis il contempla pensivement la région alentour, comprise entre la mer des Songes et le Grand Lac de l’Étoile. À l’est de ce dernier s’élevaient les montagnes de la chaîne Grise.

Roo écarquilla les yeux.

— Non, il n’oserait pas !

— Je vous demande pardon, monsieur ? dit le secrétaire personnel de James.

— Non, rien, répliqua Roo en riant.

Mais tandis qu’il sortait du bureau du duc de Krondor, le jeune homme s’exclama en son for intérieur : Que je sois pendu ! Je parie qu’il l’a fait !

Empli d’un sentiment proche de l’allégresse, Roo se hâta de descendre l’escalier qui menait à la cour où l’attendait son cheval. Il prit les rênes des mains du valet d’écurie et se mit en selle. Tout en se dirigeant vers la porte du palais, il jeta un coup d’œil à la cour d’entraînement, absolument bondée, en se demandant où pouvait bien être Erik. Il ne l’avait pas revu depuis Banapis et commençait à s’inquiéter à son sujet.

L’humeur du jeune homme s’assombrit davantage à l’idée qu’il ne restait plus que quelques semaines avant que la cité se retrouve prise dans l’étau de la guerre. Talonnant sa monture, Roo franchit la porte et salua d’un geste nonchalant le lieutenant qui était de faction. Ce dernier lui rendit son salut, car on connaissait bien Rupert Avery au palais. La rumeur le disait ami du duc, ce qui, combiné à son immense fortune, suffisait à faire de lui l’un des hommes les plus influents de Krondor.

 

— Avez-vous réfléchi à mon offre ? demanda Jacob d’Esterbrook.

Roo sourit.

— Et comment. Il se trouve que j’ai prêté une somme considérable à la Couronne en raison de cette guerre imminente. Résultat, je manque quelque peu de liquidités.

Jacob était parfaitement au courant de cet état de fait, mais la meilleure stratégie consistait justement à lui révéler ce qu’il avait déjà appris par d’autres sources. Ainsi, Roo donnait à son rival l’impression de jouer franc jeu avec lui.

Sylvia sourit à son amant, comme si la moindre de ses paroles revêtait une importance capitale. Roo lui rendit son sourire avant de poursuivre son discours :

— Sans l’aval de mes associés, je ne suis pas en mesure de négocier au nom de la compagnie de la Triste Mer. Mais si vous et moi parvenions à trouver un accord, je crois que cela pourrait leur plaire, compte tenu de la situation. (Il s’interrompit le temps d’avaler une dernière bouchée et de s’essuyer le coin des lèvres avec sa serviette.) Cependant, je suis tout à fait libre de céder une partie des intérêts financiers d’Avery & Fils. J’en connais plusieurs qui vous plairaient autant que ceux pour lesquels vous m’avez déjà fait une offre.

— S’agirait-il d’une contre-proposition ? s’enquit Jacob d’un air amusé.

— En effet. Puisque vous avez la mainmise sur les échanges commerciaux avec Kesh, j’envisage d’abandonner mes ateliers de construction et de réparation de chariots à Shamata et mon chantier naval à Port Shamata. Ce sont deux entreprises prospères, mais elles ne m’ont rapporté aucun bénéfice depuis que j’en ai pris le contrôle, comme vous le savez sans doute, ajouta-t-il avec un petit rire amer.

— Il est vrai que je me tiens au courant de tout ce qui se passe dans le Sud, en raison de ma longue et profitable association avec plusieurs éminents marchands de Kesh. (Jacob repoussa sa chaise loin de la table et accepta l’aide d’un serviteur pour se lever.) Mes genoux me font souffrir. C’est sans doute dû à ce temps chaud et sec. J’ai presque aussi mal que lorsqu’il va pleuvoir.

Roo hocha la tête et se leva à son tour.

— Ces entreprises vous intéressent-elles ?

— Je suis toujours intéressé, Rupert, dès qu’il est question d’augmenter mes intérêts financiers. C’est simplement une question de prix.

— Bien entendu, répliqua le jeune homme en souriant.

— Allons prendre le cognac au jardin, proposa Jacob. Je vous laisserai ensuite aux bons soins de ma fille, car je ne peux plus me coucher aussi tard qu’autrefois.

La nuit était chaude et le ciel rempli d’étoiles. Le jardin embaumait des senteurs de l’été et le chant des oiseaux nocturnes se mêlait à celui des grillons.

Roo huma l’arôme du cognac. Il commençait à réellement apprécier ce genre d’alcool, même s’il ne parvenait toujours pas à distinguer un cognac keshian d’un cognac de la lande Noire. Du moins était-il capable de dire que ça n’avait rien à voir avec le tord-boyaux servi par messire Vasarius. Le cognac de Jacob d’Esterbrook avait un goût piquant et subtil, où le raisin le disputait au bois. Roo se sentit agréablement réchauffé par le breuvage dont la saveur lui resta en bouche pendant de longues minutes.

Sylvia, assise à côté de son amant, lui posa distraitement la main sur la jambe. Son père ne parut pas y prêter attention et reprit la conversation là où ils l’avaient laissée :

— Vous n’avez qu’à établir une fiche avec tous les renseignements nécessaires et me l’envoyer demain ici même.

— Je m’en occuperai, promit Roo. Quant aux intérêts pour lesquels vous m’avez déjà fait une proposition, j’avoue que je me séparerais bien de quelques-uns d’entre eux, pour la même raison.

— Qu’en est-il de vos affaires à Landreth ?

Roo haussa les épaules.

— J’arrive à tirer profit du commerce entre la mer des Songes et Krondor. Ça dépendrait donc du prix qu’on m’en propose.

Ils discutèrent ainsi pendant une heure. Puis Jacob se leva en annonçant qu’il allait se coucher.

— Si vous le désirez, restez encore un peu et prenez un autre cognac. Sylvia vous tiendra compagnie. Bonne nuit, Rupert.

Le vieil homme rentra dans la maison. Dès qu’ils furent seuls, Sylvia remonta sa main le long de la jambe de son amant.

— Quel genre de compagnie désires-tu ? demanda-t-elle d’un ton taquin.

Roo posa son verre de cognac et embrassa la jeune femme.

— Allons dans ta chambre, suggéra-t-il au bout d’un moment.

— Non, je veux rester ici.

— Dans le jardin ?

— Pourquoi pas ? rétorqua Sylvia en commençant à dégrafer son corsage. Il fait chaud et je ne veux pas attendre.

Ils firent l’amour sous les étoiles. Lorsqu’ils eurent fini, la jeune femme s’allongea sur la pelouse à côté de son amant et posa la tête sur sa poitrine.

— Tu ne viens pas souvent ces derniers temps, Roo.

Cette remarque tira le jeune homme d’une agréable rêverie.

— C’est que je suis de plus en plus occupé.

— Il paraît qu’il va y avoir une nouvelle guerre, murmura Sylvia.

— Beaucoup de gens le disent.

— Mais est-ce vrai ?

Roo réfléchit à la réponse qu’il allait lui donner.

— Je crois que oui, mais je ne sais pas si c’est pour bientôt. Malgré tout, tu devrais songer à te rendre dans l’Est si tu entends parler de troubles à Krondor.

— Pourquoi Krondor ? s’enquit la jeune femme en lui mordillant l’épaule. Je croyais qu’il s’agissait d’une nouvelle invasion de Kesh.

— Oui, c’est vrai… (Roo hésita, car il l’aimait et voulait qu’elle soit en sécurité, mais il ne parvenait pas à lui faire totalement confiance à cause de son père.) Mais je ne crois pas qu’ils vont envahir le val cette fois.

Il réfléchit, ne voulant pas mettre en péril ses négociations avec Jacob. Puis il songea qu’une partie de la vérité pourrait lui donner un avantage, aussi décida-t-il d’enjoliver un peu les choses.

— Tu sais que l’on a fait venir messire Vykor de Rillanon ?

— Non, qui est-ce ?

Roo se demanda si elle l’ignorait vraiment ou si elle voulait juste lui donner le sentiment d’être quelqu’un d’important. Il fit courir sa main sur la hanche dénudée de sa compagne et décida que cela n’avait aucune importance.

— C’est l’amiral de la flotte de l’Est. Il se cache dans la baie de Shandon à la tête d’une énorme flotte afin de pouvoir tendre une embuscade aux navires keshians lorsqu’ils sortiront de Durbin. Le prince Nicholas a emmené ses vaisseaux de guerre à l’ouest, au-delà des passes, afin de pouvoir prendre les Keshians à revers.

Sylvia se mit à jouer avec les poils que Roo avait sur la poitrine.

— Je croyais qu’il devait aller à la rencontre des navires qui ramènent un véritable trésor ?

Roo comprit que sa maîtresse en savait beaucoup plus qu’elle voulait bien le dire et sentit son désir s’émousser.

— Je suis désolé, mais je dois rentrer.

— Oh, s’écria-t-elle en faisant la moue.

— Désolé, mais je dois m’occuper des documents que ton père m’a demandés.

Le jeune homme se rhabilla tandis qu’elle s’étirait, nue sur la pelouse, offrant un spectacle magnifique à la lumière de la grande lune. Lorsqu’il eut fini de se vêtir, elle se leva et l’embrassa.

— Bon, je te laisse t’en aller, puisqu’il le faut. Est-ce que je te verrai demain ?

— C’est impossible. Après-demain, peut-être.

— Pour ma part, je vais aller me coucher. Je penserai à toi quand je serai entre mes draps, annonça-t-elle en lui caressant le bas-ventre.

— Tu ne me facilites pas les choses, gémit Roo.

Sylvia éclata de rire.

— Toi, tu ne me facilites pas l’existence. Comment pourrais-je penser à un autre homme alors que tu occupes une si grande place dans ma vie ? (Elle l’embrassa.) Mon père veut savoir pourquoi je ne me marie pas. Il veut des petits-enfants.

— Je sais, c’est impossible.

— Peut-être les dieux feront-ils preuve de clémence et nous permettront-ils un jour d’être ensemble.

— Je dois y aller.

Roo partit peu après. Plutôt que d’enfiler à nouveau sa robe, Sylvia la ramassa et traversa la maison en serrant le vêtement contre elle. Lorsqu’elle arriva dans sa chambre, elle le laissa à nouveau tomber par terre.

Un doux gémissement s’échappa de son lit. Sylvia sourit, traversa la pièce dans la pénombre et aperçut deux silhouettes enlacées sous les couvertures. Elle donna une violente tape sur les fesses nues de la servante qui poussa un cri de surprise.

Duncan Avery leva les yeux et sourit à Sylvia dans la pâle lumière qui venait de la fenêtre.

— Bonsoir, ma chérie, lui dit-il avec un sourire canaille. On s’ennuyait à t’attendre.

Sylvia repoussa la servante en lui disant :

— Prends mes vêtements et porte-les à la lingerie.

La jeune fille regarda sa maîtresse d’un air neutre et se glissa hors du lit. Elle ramassa ses affaires et celles de Sylvia puis se hâta de sortir de la pièce en refermant la porte derrière elle.

Sylvia se pencha pour caresser Duncan.

— Eh bien, au moins, grâce à elle, tu es prêt à me faire l’amour.

— Je le suis toujours, répliqua le jeune homme en l’embrassant dans le cou.

Elle le repoussa afin de s’asseoir sur lui.

— J’ai besoin que tu me rendes un service.

— Tout ce que tu voudras, répondit Duncan qui plongea son regard dans celui de son amante.

— Je sais, ronronna la jeune femme en se penchant pour l’embrasser.

— Tu sens l’herbe fraîchement coupée.

— Ce n’est guère étonnant, je viens de faire l’amour avec ton cousin sur la pelouse.

Duncan éclata de rire.

— Ça le tuerait s’il savait que tu passes de ses bras aux miens. Il prend ce genre d’histoire beaucoup trop à cœur.

Sylvia prit le visage de son amant entre ses mains et enfonça légèrement ses ongles dans ses joues.

— Tu ferais bien de prendre exemple sur lui, mon joli paon, car je vais te rendre plus riche que dans tes rêves les plus fous.

Elle savait qu’elle avait besoin d’un homme à la tête des entreprises qu’elle hériterait de son père et de Roo. Duncan était suffisamment stupide pour qu’elle parvienne à le contrôler durant des années. De plus, elle n’aurait aucun mal à s’en débarrasser une fois qu’elle s’en serait lassée.

— J’aime la richesse, approuva Duncan sans se soucier de la douleur.

— Si on en revenait au service que tu me dois ?

— Dis toujours.

— Je veux que tu assassines la femme de ton cousin.

Duncan garda le silence pendant une bonne minute tandis que sa respiration ne cessait de s’accélérer.

— Quand ? finit-il par demander.

— Cette semaine.

— Pourquoi ?

— Pour que je puisse épouser Roo, espèce d’idiot ! s’exclama Sylvia qui sentait monter son propre plaisir.

— Comment vais-je devenir riche si c’est mon cousin que tu épouses ? insista Duncan.

Brusquement, Sylvia se cambra et frémit. Puis elle s’effondra sur son amant au moment où celui-ci atteignait lui aussi le paroxysme de son plaisir. Au bout d’un long moment de silence, il voulut répéter sa question.

— Comment… ?

— Je t’ai entendu, l’interrompit la jeune femme.

C’était tout Duncan, ça, incapable d’attendre ne serait-ce que quelques instants pour la laisser profiter de sa jouissance.

— C’est simple, finit-elle par répondre en s’allongeant près de lui. Au bout d’un laps de temps raisonnable, tu feras de moi la veuve de Rupert. Puis, à l’issue d’une deuxième période de deuil appropriée, toi et moi, on se mariera.

Duncan rit et empoigna la jeune femme par les cheveux, l’obligeant sans la moindre tendresse à tourner la tête.

— Ma chérie, tu es une femme admirable, dit-il en lui mordillant la lèvre. Toi au moins, tu ne t’embarrasses pas de romantisme. (Il l’obligea à se mettre sur le dos et la regarda droit dans les yeux.) J’aime l’idée d’un mariage basé sur la cupidité. C’est une notion que je peux comprendre.

— Tant mieux, répliqua Sylvia en lui donnant une gifle presque assez forte pour lui faire mal. Il va falloir veiller à ce que ça continue comme ça.

Duncan commença à l’exciter de nouveau. La jeune femme le laissa faire et se dit qu’en plus d’être doué au lit, il lui serait très utile en tant que pantin à la tête de ses affaires. Cependant, toutes ces qualités ne parvenaient pas à compenser ses manières de rustre. Oser se distraire avec la servante en attendant son arrivée, voilà qui était impardonnable. Sylvia se promit de punir la jeune fille dès le lendemain pour ne pas l’avoir fait remarquer à Duncan. Il ne s’agissait pas de jalousie, car Sylvia ne savait pas ce que c’était.

En revanche, elle tenait beaucoup à ce qu’on lui obéisse ; or, elle ne leur avait pas donné la permission de s’amuser tous les deux.

Elle soupira et frissonna lorsqu’il recommença à explorer son corps. Un an ou deux, songea-t-elle. C’était le temps qu’elle le supporterait avant de se débarrasser de lui. Elle se tournerait alors du côté de la noblesse, et pourquoi pas vers le petit-fils du duc, celui qui l’avait grandement irritée en refusant ses avances. Un tel défi serait le bienvenu. En tout cas, elle porterait un titre avant d’en avoir fini avec les hommes. Si nécessaire, elle consentirait même à pondre un gosse ou deux pour mieux capturer dans ses filets un comte ou un baron. Mais ce faisant, elle sacrifierait la fermeté et la minceur de son corps à la maternité. Sylvia se demanda s’il existait une potion ou une espèce de magie lui permettant de garder son apparence actuelle. Les femmes se posaient cette question depuis des lustres.

Puis elle se ravisa. Pourquoi se contenter d’un comte ? Pourquoi ne pas viser aussi haut qu’un duc ? Ce Dashel avait un frère aîné, n’est-ce pas ? Il finirait par s’élever au sein de la noblesse, peut-être au rang de duc, comme son grand-père. Elle se demanda s’il serait plus facile à séduire que son cadet ou s’il lui poserait le même défi.

Voilà ce dont j’ai besoin, se dit la jeune femme tandis que Duncan lui embrassait le ventre. Un nouveau défi. Tous les hommes qui occupaient sa vie actuellement étaient si prévisibles. Mais, j’y pense, songea-t-elle en fermant les yeux et en cambrant les reins, le prince est encore célibataire !

 

Pug se matérialisa près du rivage, où un groupe d’étudiants écoutait Chalmes discourir sur la magie. Ce dernier s’arrêta net en voyant apparaître trois invités inattendus, car Pug avait amené Nakor et Sho Pi avec lui. Le célèbre magicien paraissait différent, plus mince, les cheveux et la barbe plus courts, comme s’ils venaient juste de repousser. Sa démarche semblait également trahir une certaine fatigue.

— Messire, voilà une visite aussi inattendue que votre dernière apparition.

— Nous devons discuter de sujets de la plus haute importance, Chalmes. Rassemble les autres membres du conseil dans la salle de conférence, je vous y rejoindrai dans un moment.

Si le magicien qui dirigeait à présent cette communauté n’appréciait pas de s’entendre ainsi donner des ordres, il le dissimula admirablement.

— Il en sera fait selon votre désir, messire, dit-il en posant la main sur le cœur – une habitude keshiane.

Nakor se tourna vers les étudiants qui contemplaient la scène d’un air ahuri.

— Allez, ouste !

Ils s’en allèrent rapidement, laissant seuls les trois hommes. Ces derniers étaient d’abord passés par Krondor, où Pug avait laissé Calis. Le demi-elfe superviserait la défense de la cité jusqu’à ce que le magicien revienne le chercher. Arutha, le petit-fils de Pug, en avait profité pour dire à son grand-père qu’il voulait absolument lui parler. Le magicien éprouvait donc le besoin de retourner rapidement dans la capitale de l’Ouest.

— Tu sais ce que tu as à faire ? demanda-t-il à Nakor.

— Bien sûr. Je ne sais pas si j’approuve, mais je vois bien que c’est nécessaire.

Pug haussa les épaules.

— Tentons déjà de survivre à ces prochains mois. Ensuite, on pourra se préoccuper de ce qui se passe ici. À moins que tu aies une meilleure idée ?

Nakor se frotta le menton.

— Je ne sais pas. Peut-être. Quoi qu’il en soit, on doit d’abord en passer par là.

— Alors qu’est-ce que tu attends ? Allez, du balai ! s’exclama Pug en riant. Quand tout sera terminé, procurez-vous des chevaux, Sho Pi et toi, et rejoignez-nous à Sethanon. Je ne pense pas que vous puissiez faire quoi que ce soit pour Krondor. En revanche, si jamais je ne suis pas à Sethanon, faites de votre mieux pour aider Tomas.

Les deux Isalanis s’en allèrent prendre le bac qui devait les déposer de l’autre côté du lac, dans la ville jumelle du port des Étoiles. De son côté, Pug prit la direction de la grande citadelle qui abritait l’académie des magiciens.

Il entra dans le bâtiment et se hâta de gagner la salle où s’étaient rassemblés les magiciens qui dirigeaient l’île. Ces derniers se levèrent pour saluer son arrivée. Mais Pug leur fit signe de se rasseoir et alla prendre le siège qu’occupait traditionnellement le chef du conseil.

— Les choses bougent rapidement, déclara-t-il sans préambule. Tant qu’a duré la paix, je vous ai laissés jouer à votre petit jeu d’indépendance vis-à-vis de Kesh et du royaume. Mais cette situation ne peut plus durer.

— Il paraît qu’il va y avoir la guerre, reconnut Chalmes. Souhaitez-vous que l’académie se range du côté du royaume ?

— Oui.

— Mais beaucoup ici sont d’origine keshiane et n’éprouvent aucune affection envers le royaume, intervint un autre magicien.

— Vous êtes Robert d’Lyes ?

— En effet, dit le jeune homme, qui inclina la tête, flatté d’être ainsi reconnu.

— Vous êtes né dans le royaume.

— C’est exact. Je ne faisais que rappeler que la loyauté envers notre patrie passe après celle que nous éprouvons envers le port des Étoiles.

— Je vais être direct avec vous : le port des Étoiles est à moi, décréta Pug. Je l’ai construit avec ma fortune sur des terres que m’a données le roi. Il continuera à m’appartenir jusqu’à ce que j’en décide autrement.

— C’est évident, concéda d’Lyes, mais beaucoup de magiciens préféreront s’en aller, ce qui constituerait à mes yeux l’échec des principes sur lesquels cette communauté a été fondée.

Pug sourit.

— Je comprends votre désir, tout académique, de rester assis ici à débattre de l’évidence jusqu’à ce que vous soyez parvenus à une conclusion hautement philosophique. Mais nous ne pouvons malheureusement pas nous offrir ce luxe car la plus grosse armée que le monde ait connue s’apprête à envahir Krondor par voie de mer.

Plusieurs magiciens froncèrent les sourcils en entendant parler de la flotte ennemie.

— Je croyais que le rassemblement des soldats keshians au sud était un prélude à la guerre, messire, intervint Chalmes. Quelle est donc cette histoire d’invasion ?

— Je vais être bref. Une immense armée, au service d’un Seigneur Démon, a traversé la Mer sans Fin dans le but d’envahir Krondor. Lorsque la cité aura été détruite, cette armée a l’intention de se déployer et de conquérir toutes les terres comprises entre cette île, Ylith, Krondor et Salador. Vous ne pouvez imaginer la quantité de sang qui sera versée et le nombre d’incendies qui seront allumés.

Les magiciens se mirent à parler entre eux. Pug leur laissa une minute avant de lever la main pour réclamer le silence, qu’il obtint.

— Mais le pire, c’est qu’ils ont pour mission de s’emparer, sans le savoir, d’un trophée qui, entre leurs mains, servirait à mettre un terme à la vie sur Midkemia.

— Est-ce possible ? s’écria d’Lyes.

— Non seulement possible, mais probable, à moins que je reçoive de l’aide pour empêcher ça.

— Moi, je vous aiderai, affirma le jeune magicien.

Pug sourit.

— On sous-estime trop souvent la jeunesse, fit-il remarquer tandis que les autres membres du conseil, plus âgés, gardaient le silence.

Kalied, l’un des plus vieux magiciens d’origine keshiane, finit par sortir de sa réserve.

— Si c’est vrai, tous nos travaux risquent d’être perdus à jamais. Ne serait-il pas plus sage pour nous de rester ici afin de protéger l’académie et les connaissances qu’elle abrite ?

— Je ne peux pas vous obliger à aider le royaume, reconnut Pug. Je pourrais vous donner l’ordre de partir, mais à quoi cela servirait-il ? (Il se leva.) Je vais me retirer dans ma tour pendant les deux prochaines heures. Réunissez tous les magiciens capables de soigner, de protéger une armée ou de se battre avec leur art et répétez-leur mes paroles. J’emmènerai les volontaires avec moi. Les autres n’auront qu’à rester ici pour défendre le port des Étoiles s’ils en sont capables.

Pug sortit de la pièce en sachant très bien que les magiciens allaient disséquer chacune de ses paroles. Il monta dans sa tour et franchit la porte magique qui empêchait quiconque d’y entrer à part lui. Puis, avant que cette porte se referme complètement, il se transporta sur l’île du Sorcier.

Gathis, la créature semblable à un gobelin qui remplissait les fonctions de majordome, se trouvait à son poste habituel, dans la pièce située au cœur de la villa. Pug l’avait choisie pour en faire son bureau car elle donnait sur le joli jardin qu’il avait créé.

— Maître Pug, ai-je raison de croire que maître Macros est de retour ?

Pug sourit, car Gathis avait été le majordome de Macros avant d’entrer à son service. Un jour, il lui avait expliqué qu’il existait une espèce de lien mystérieux entre lui et le sorcier.

— Il est vrai que Macros est revenu, même si je ne sais pas où ils sont, lui et Miranda.

Gathis se leva.

— Que puis-je faire pour vous ?

— J’ai besoin de changer de vêtements et j’aimerais prendre un repas chaud pendant que je me baigne.

L’un des purs plaisirs que lui procurait la Villa Beata était justement son système de bains à la keshiane. Lorsque Gathis apporta un plateau contenant du bœuf, du fromage, du pain et des légumes ainsi qu’un pichet de vin blanc frais, il trouva Pug occupé à se détendre dans un bassin d’eau chaude.

— On dirait que vous avez eu des ennuis, fit remarquer le majordome en contemplant les cicatrices sur le corps du magicien, qui allaient de pair avec sa barbe et ses cheveux très courts.

Pug éclata de rire.

— Tu as toujours eu le don de relativiser les choses, mon ami. C’est une qualité que j’apprécie ! (Il prit le verre de vin que lui tendait la créature à peau verte.) Savais-tu que Miranda était la fille de Macros ?

— Je m’en doutais, même si je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de lui parler lorsqu’elle est venue ici avec vous. Ce n’est pas une surprise car elle me rappelle un peu le Sorcier Noir par son attitude.

— Moi, je n’y avais pas songé. Mais savais-tu que sa mère n’est autre que dame Clovis ?

— Là, pour le coup, c’est une surprise, admit Gathis. J’ai rencontré le Sorcier Noir lorsqu’il m’a aidé à quitter mon monde natal, mais je suppose qu’il avait déjà quitté Miranda et sa mère, puisqu’il était seul à ce moment-là.

— Lorsque j’aurai mangé, il faudra que je retourne au port des Étoiles, annonça Pug. Mais avant de m’en aller, je veux m’assurer que nos défenses sont bien en place. Une immense flotte de soldats aux intentions extrêmement hostiles va passer au large de cette île dans les prochains jours. Krondor est leur destination, mais certains pourraient être tentés de s’arrêter pour explorer les lieux.

— Je suivrai vos instructions en la matière. (Gathis sourit alors de toutes ses dents, qu’il avait nombreuses.) Cependant, plusieurs de vos étudiants me paraissent tout à fait capables de décourager une telle entreprise, car ils savent accueillir les maraudeurs malveillants.

— Je n’aurais pas dit mieux, reconnut Pug en riant.

— Reviendrez-vous bientôt ?

Le visage du magicien s’assombrit.

— Je ne sais pas. Il serait malhonnête de ma part de te cacher que le destin de cette planète est en jeu. Disons simplement que si nous survivons à cette épreuve, je reviendrai.

— Et le Sorcier Noir, reviendra-t-il lui aussi ?

Pug haussa les épaules.

— Tu connais ton ancien maître bien mieux que moi, alors c’est à toi de me le dire.

Gathis haussa les épaules à son tour, car il n’y avait rien à ajouter. Pug termina son repas, sortit du bain et enfila une tunique propre. Puis il se transporta dans sa tour du port des Étoiles et trouva un grand nombre d’étudiants qui l’attendaient au pied de l’escalier.

— Tout le monde dehors ! s’exclama-t-il en les voyant.

Les jeunes gens se hâtèrent d’obéir, mais Pug retint l’un d’eux par la manche.

— Toi, comment tu t’appelles ?

— John, répondit le garçon.

Il ne se sentait plus de joie à l’idée d’avoir été remarqué par l’illustre maître du port des Étoiles.

— Va trouver les membres du conseil et dis-leur de nous rejoindre à l’extérieur.

L’étudiant s’éloigna en courant en direction de la salle du conseil. Pug se fraya quant à lui un chemin au sein du groupe qui s’écarta rapidement en le voyant. Il s’arrêta non loin de l’endroit où la route descendait en lacets vers le débarcadère et grimpa sur un gros rocher.

Il laissa passer quelques minutes avant de se tourner pour regarder de l’autre côté du lac. Il ajusta sa vision magique afin d’apercevoir les quais de la ville jumelle de l’académie et fut ravi de voir Nakor, Sho Pi et deux soldats monter sur le bac qui faisait la navette entre l’île et la terre ferme.

Chalmes et les autres membres du conseil arrivèrent à leur tour en écartant les étudiants sur leur passage.

— Pourquoi cette réunion, Pug ?

L’intéressé s’assit sur son rocher en s’efforçant d’imiter de son mieux les attitudes mystérieuses de Nakor.

— Nous attendons.

— Quoi donc ?

Pug sourit et se délecta de la frustration qu’il suscitait avec une espèce de joie perverse.

— Je ne voudrais pas vous gâcher la surprise.

Cette réplique réduisit tout le monde au silence. Mal à l’aise, ils attendirent pendant une demi-heure, le temps que le bac traverse le lac. Enfin, Nakor et ses compagnons apparurent au détour de la route.

— Je suis content de vous voir, leur dit Pug.

— Voici le capitaine Sturgess de la garnison de Shamata, annonça le petit Isalani. (Dans son dos, les étudiants commencèrent à marmonner à la vue de l’autre soldat, qui portait l’uniforme de la légion keshiane chargée de la frontière.) Et voici le général Rufi ibn Salamon.

— Bonjour, messire, dit le général en s’inclinant devant Pug.

Ce dernier se tourna vers l’assemblée de magiciens et s’adressa à Chalmes.

— Je vous avais donné deux heures, mais je suppose que vous n’avez fait que tergiverser, sans obéir à mes ordres.

— Nous discutions justement afin de trouver la meilleure façon de communiquer les informations que vous nous avez données…, commença le vieux magicien.

Pug leva la main pour l’interrompre.

— Est-ce que Robert d’Lyes est ici ?

Une main se leva parmi les derniers rangs de la foule.

— Je suppose qu’il s’agit du plus jeune membre de votre conseil ? reprit Pug.

Les autres conseillers acquiescèrent.

— Tant mieux, répliqua Pug. Ça signifie que votre cas n’est pas totalement désespéré, Robert.

L’intéressé prit un air perplexe.

— Pas totalement, non.

Pug rit et se leva afin que tout le monde puisse le voir.

— Je pense que chacun de vous a entendu les rumeurs qui courent au sujet d’une nouvelle guerre.

Certains répondirent par l’affirmative tandis que d’autres se contentaient de hocher la tête.

— Laissez-moi vous dire que cette menace est réelle, mais qu’elle ne vient pas de nos voisins du Sud. En ce moment même, une immense flotte traverse l’océan avec à son bord près d’un quart de million de soldats. (Plusieurs magiciens commencèrent à parler entre eux. Pug leva les deux mains et le silence retomba.) Le royaume prépare ses défenses. Comme vous pouvez l’imaginer, nous avons besoin d’une frontière stable avec Kesh. C’est pourquoi certains changements ont eu lieu.

Le silence s’abattit sur la foule, anxieuse de savoir de quoi il retournait.

— Depuis des années, Kesh la Grande et le royaume ne cessent de se disputer les riches terres agricoles qui entourent la mer des Songes. Afin de mettre un terme à cette querelle, le royaume a cédé certaines de ces terres à l’empire.

« Au sud-ouest de Finisterre se trouve un grand promontoire rocheux, visible aussi bien depuis la mer que depuis la terre ferme, et que l’on appelle la Ruine de Morgan. Les marins le connaissent bien. On a tracé un trait depuis la pointe de ce promontoire jusqu’à l’extrémité orientale du canal de Shamata. Une nouvelle frontière a été établie. L’empire de Kesh la Grande a reçu tous les territoires au sud de cette ligne, le long des rives du canal de Shamata, de la mer des Songes et du Grand Lac de l’Étoile.

La foule laissa échapper un hoquet de stupeur. Quelques-uns poussèrent des cris de colère et un homme, visiblement originaire du royaume, alla jusqu’à crier :

— Vous nous avez trahis !

— Non, répondit Pug. Le prince Erland a longuement négocié avec l’empereur de Kesh à ce sujet. L’empire a accepté de protéger notre flanc sud et de respecter notre présente alliance pendant que nous sommes aux prises avec un puissant ennemi. En échange, le royaume a choisi de céder des territoires que Kesh nous réclame depuis près d’une centaine d’années. Ceux d’entre vous qui ne sont pas d’accord avec ce changement peuvent partir.

« En ce qui concerne le port des Étoiles, l’île appartient encore au royaume ; c’est toujours mon duché. (Pug dévisagea les magiciens.) Shamata est passée sous le contrôle des Keshians. Les troupes du royaume vont devoir traverser le Grand Lac de l’Étoile pour se replier sur Landreth. Vous êtes libres de vous joindre à elles.

De nouvelles protestations s’élevèrent, que Pug choisit d’ignorer. Le général Salamon prit la parole :

— Nous entendons respecter la souveraineté du royaume sur l’île du port des Étoiles. En revanche, la ville sur l’autre rive va devenir keshiane. Mais les citoyens du royaume pourront continuer à la traverser librement tant qu’ils n’auront pas arrangé leur passage pour la rive nord.

— Quand prendrez-vous le contrôle de ces nouveaux territoires ? cria quelqu’un dans la foule.

— C’est déjà fait, répondit le général. Mes hommes occupent en ce moment même la petite forteresse de Port-Shamata et la caserne de la cité. Quant à la ville du port des Étoiles, nous allons y laisser quelques troupes afin de maintenir l’ordre et la paix. (Il se tourna vers Pug.) Si vous n’avez rien à ajouter, messire, j’aimerais rejoindre mes hommes.

Le magicien acquiesça.

— Merci de vous être déplacé, général.

Salamon partit en compagnie du capitaine originaire du royaume.

— Vous connaissez désormais le fin mot de l’histoire, reprit Pug. Passons maintenant à un autre sujet.

« L’envahisseur dont je vous parlais tout à l’heure est un ennemi de la pire espèce. Je vais devoir faire appel à votre bonne volonté. Le royaume a besoin de guérisseurs, de magiciens capables de transmettre des informations d’un endroit à un autre et de contrecarrer la magie des envahisseurs. (Il fit une pause délibérée.) Nos ennemis ont l’appui des Panthatians.

Plusieurs magiciens et étudiants qui étaient restés silencieux jusque-là se manifestèrent, car ils haïssaient les prêtres-serpents.

— Moi, je vous aiderai ! annoncèrent plusieurs voix.

Pug attendit encore quelques instants avant de continuer :

— Ceux qui sont volontaires pour partir à Krondor doivent se rassembler autour de Robert d’Lyes. Je l’ai choisi pour me seconder.

Le jeune homme regarda autour de lui, l’air encore plus perplexe.

— Moi, vous seconder ? s’écria-t-il tandis que de jeunes magiciens commençaient à lui parler tous en même temps.

Pug sauta de son rocher.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? lui demanda Nakor.

— Comment ça, on ? Moi, j’emmène les volontaires à Krondor pour mieux les préparer à cette guerre. Ensuite, j’irai à Sethanon. Toi, tu restes ici pour veiller à ce que cette bande d’idiots ne déclare pas la guerre à Kesh dans les deux prochaines semaines. Ensuite, une fois que tu seras sûr qu’ils ne bougeront pas, je veux que tu me rejoignes à Sethanon. (Pug sortit de sa tunique l’un des fameux artefacts tsurani.) Évite de le casser ou de le perdre, c’est le dernier qui me reste. À pied, la route est longue jusqu’à Sethanon.

Nakor n’avait pas l’air ravi.

— Les choses s’accélèrent et toi tu veux que je reste ici pour materner ces idiots ?

Pug sourit.

— C’est parce que tu es le meilleur.

Sur ce, il traversa la foule pour rejoindre Robert d’Lyes.

— Maître ? dit Sho Pi en se tournant vers Nakor.

— Quoi ?

— Avez-vous réfléchi comme Pug vous l’a demandé ? Vous disiez avoir un autre plan en réserve pour le port des Étoiles.

Nakor garda le silence pendant quelques instants. Puis il adressa un large sourire à son disciple.

— Bien sûr que j’y ai réfléchi.

 

La rage d'un roi démon
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